
Ce n’est plus d’actualité de parler de thérapie ici et maintenant et pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit dans la plupart des psychothérapies actuelles puisque l’histoire du sujet est évacuée ipso facto.
La psychanalyse est exactement à l’opposé : il s’agit de chercher les causes de la souffrance psychique dans l’histoire du sujet.
A/ La question du symptôme en rapport avec son étiologie infantile
Freud, lorsqu’il élabore sa Première théorie de l’angoisse en 1894 (je vous renvoie à mon ouvrage Freud et la question de l’angoisse), il pense que dans la mesure où l’angoisse EST LE SYMPTOME d’une vie sexuelle ACTUELLE perturbée (en particulier différentes formes d’abstinence sexuelle), et aussi parce que l’angoisse est une sorte de stase de pulsion sexuelle ENGORGEE (thèse de la transformation de la libido en angoisse), mécanisme biologique échappant à toute élaboration psychique, LA CURE ANALYTIQUE NE PEUT MODIFIER UN TEL ETAT.
En bref, pour Freud en 1894, la névrose d’angoisse est une NEVROSE ACTUELLE, donc à traiter dans l’actualité, c’est-à-dire en fonction de facteurs conjoncturels de l’environnement.
Je remet en cause cette approche
1/ D’une part parce que la clinique montre en fait que les névrosés d’angoisse ont souvent des problèmes d’élaboration psychique (ILS NE SAVENT PAS DIRE POURQUOI ILS SONT ANGOISSES), qui les empêchent d’avoir une sexualité satisfaisante (on en est plus, en 2002, à des problèmes d’abstinence, mais à des problèmes de sexualité indigente très frustrante à l’instar de la pornographie par exemple), DONC c’est l’angoisse qui induit le pb sexuel et non l’inverse.
2/ D’autre part parce que théoriquement la thèse d’une angoisse qui ne serait que d’origine biologique ne tient pas. IL NE FAUT PAS CONFONDRE ANGOISSE ET STRESS.
L’angoisse est un AFFECT FONDAMENTAL qui revet un sens articulé au DESIR. Par exemple en restant dans le domaine de la sexualité : un sujet angoisse à l’idée de l’acte sexuel parce que, enfant, un des parents a eu un regard concupiscent sur son enfant.
En 1926, lorsque FREUD élabora sa seconde théorie de l’angoisse, tout devient plus clair et le retournement radical de sa position permet une approche psychogénétique de l’angoisse.
De » le refoulement induit l’angoisse » (auquel cas l’angoisse est symptôme) la thèse freudienne devient » L’ANGOISSE INDUIT LE REFOULEMENT « .
Donc l’angoisse devient CAUSE DE LA NEVROSE et de son cortège de symptômes.
La conséquence sur le gouffre qui sépara la psychanalyse des thérapies hic et nunc devient ici patente :
Comment atteindre la cause du mal en fixant l’attention thérapeutique sur le symptôme en ignorant le SENS de l’angoisse qui la préside ?
J’illustrerais cette assertion à l’aide des phobies qui montrent parfaitement la formation de symptôme. La phobie qui est une sorte de réceptacle d’une peur intérieure expulsée et fixée sur un objet de la réalité extérieure est en quelque sorte une victoire psychique – je veux dire en tant que ruse – sur cette peur profondément intériorisée. L’angoisse devient nommable (araignée, souris, chambre noire, espace publique, autoroute, supermarché, métro, etc.) alors que la cause n’a rien à voir avec l’objet extérieur. En ignorant l’étiologie, et en supprimant la phobie par conditionnement (thérapie comportementale et/ou cognitive), on risque d’induire un déplacement de symptôme. LE SYMPTOME EST VITAL et il ne faut pas y toucher sans connaître les raisons de son existence.
Le symptôme est vital parce qu’il permet une relative satisfaction pulsionnelle, le désir inconscient ayant été détourné précisément par l’angoisse dans une construction symptomatique. Exemple : une obséquiosité invalidante à l’égard de ses supérieurs hiérarchiques de la part d’un sujet risque de masquer une angoisse qui s’est structurée dans une haine à l’égard du père et une terreur des représailles. Pousser cette personne à vaincre cette obséquiosité, même si elle est socialement invalidante, risque de faire éclater ses défenses et de la plonger dans un angoisse extrême, alors que grâce au symptôme il ignorait cette angoisse car INCONSCIENTE.
IL FAUT RESPECTER LES PEURS INTERNES, DONC LES ANGOISSES, tant qu’elles n’ont pas été analysées au risque de faire plus de dégâts qu’autre chose.
De toute façon, une « guérison » par une thérapie hic et nunc ne tient pas, à mon avis, dans le temps. Il ne s’agit en général que de suggestion dont les effets sont temporaires.
Il est dommage que l’on manque de témoignages à ce sujet.
En résumé :
Le symptôme étant le reflet de l’angoisse essentiellement inconsciente et structurée dans l’enfance, celle-ci ne sera de toute façon pas touchée par une thérapie hic et nunc.
A supposer que le symptôme soit supprimé (par exemple les thérapies cognitivo-comportementalistes fonctionnent bien pour les phobies), il y a risque de déplacement vers un autre symptôme, la situation la plus grave étant un trouble psychosomatique. (Il faut essayer de se représenter les ravages physiologiques d’un stress extrême induit par une angoisse inconsciente produite par un moi débordé par des pulsions qui ne trouvent plus de débouchés dans un symptôme, aussi invalidant soit-il.)
Le SYMPTOME est VITAL tant que le DESIR qui y est véhiculé et la pulsion sous-jacente ne peut pas trouver d’objet-but. En supprimer l’objet-but pathologique (le symptôme), que va devenir la charge pulsionnelle ?
B/ La question du transfert
Je ne pense pas que, contrairement à l’issu d’une psychanalyse, les schémas pulsionnels soient modifiés au cours d’une thérapie hic et nunc. Autrement dit, toute psychopathologie étant à l’origine, à l’évidence, des erreurs d’apprentissage liées à des questions de survie, stratégies qui deviennent caduques et inadéquates à la réalité une fois atteint l’âge adulte, je ne pense pas qu’en NIANT LA PERSONNE en SE CENTRANT SUR LE SYMPTOME, il soit possible de modifier ces schémas d’apprentissage infantile.
Par ailleurs, les thérapies hic et nunc font appel, en général, (du moins le thérapeute le croit !) exclusivement au CONSCIENT ou alors à des mécanismes très archaïques (cri primal par exemple).
Dans un cas, la source de toute psychopathologie étant inconsciente, il est évident que faire appel à la raison est parfaitement inutile et ne consistera qu’à RENFORCER MASSIVEMENT LES DEFENSES en interdisant peut-être définitivement au sujet un accès à sa souffrance (de l’âme). FREUD et ses patients en ont fait eux-mêmes les frais à l’époque pionnière de la psychanalyse car Freud expliquait beaucoup en séance comptant sur une compréhension consciente. A partir de Au delà du principe de plaisir (1923) tout a changé puisque Freud admet enfin que la RESISTANCE N’EST QU’INCONSCIENTE.
Dans l’autre cas (appel aux mécanismes archaïques), les gens sont terriblement déstabilisés et je pense que des névroses traumatiques peuvent ainsi naître chez des personnes qui allaient pas si mal. Ces thérapies sont quant à elles, à mon avis, dangereuses.
De toute façon, pour me résumer, les schémas aberrants d’apprentissage (les fameuses voies de frayage pulsionnelles freudiennes) restent INTACTS. Tout changement apparent est donc une ATTITUDE, une DEFENSE, du PARAITRE pour se conformer à une image imposée par le thérapeute (image elle-même image imposée par la société). Nécessité directive peut-être nécessaire en psychiatrie lorsque les pathologies sont très lourdes (psychoses, perversions, délinquance récidivante) mais triste sort pour un névrosé (donc nous tous) qui non seulement ne pourra pas s’affranchir et gagner en libre-arbitre mais sera encore plus prisonnier qu’avant de ses symptômes.
Ceci étant dit, je pense possible des changements dans ce genre de thérapies MAIS UNIQUEMENT pour des questions transférentielles.
En effet, je suis convaincu, et c’est la psychanalyse qui nous l’apprend, que l’effet de levier thérapeutique est TOTALEMENT DEPENDANT de la RELATION sujet thérapeute/sujet souffrant, donc TOTALEMENT DEPENDANT DU TRANSFERT.
Dans ce sens, nul besoin d’être thérapeute pour avoir des effets (positifs ou négatifs, placebo ou nocebo, permettant parfois une naissance [voir concept de résilience développé par Boris CYRULNICK] ou totalement toxiques [voir par exemple les effets du harcèlement moral).
LE TRANSFERT, C’EST L’AMOUR.
Par amour, que ne ferait-on pas ? Découverte géniale de Freud qui comprit que toute l’énergie utilisable dans une thérapie se trouve concentrée dans cet amour (il négligea la haine au début d’où des analyses discutables à cette époque pionnière de la psychanalyse).
Amour évidemment « fou » puisqu’il s’adresse aux imagos parentaux (amour du passé).
Le transfert est partout, omnipotent, omniprésent, indestructible même en psychanalyse. On peut espérer en faire prendre conscience, lui faire perdre sa charge, le rendre acceptable et vivable, l’éroder, l’amenuiser… mais en aucun cas le supprimer. Ce serait supprimer l’affect que de tenter de supprimer la subjectivité d’une personne pour la faire entrer dans une pure objectivité (robotisation).
La relation amoureuse (donc haineuse) est le prototype même du transfert, de ses envolées grandioses, de ses mesquineries horribles.
Il est évident que le transfert, pour faire court, c’est l’Œdipe réactualisé.
Or le transfert, cette bombe à retardement, nul thérapeute hic et nunc n’en tient compte alors qu’évidemment il existe. Les résultats parfois spectaculaires des rebouteux tiennent à ce transfert et les rebouteux en question, souvent un peu gourous, un peu thaumaturges, savent en jouer.
En psychanalyse, il arrive que des guérisons soient spectaculaires dès les premières séances (voir Les mots pour le dire de Marie CARDINALE et l’arrêt de ses saignements quasiment dès le début de son analyse). Il arrive que de jeunes analystes paniquent complètement face à de telles guérisons. En fait, l’analyste ne doit pas se laisser impressionner et là ou lui verra un effet du transfert qu’il faudra analyser, un thérapeute hic et nunc y verra peut-être un effet de son imparable technique et de son génie thérapeutique.
Donc, quel que soit le corpus théorique d’une pratique thérapeutique hic et nunc, le transfert et l’infantile seront toujours les moteurs essentiels de la thérapie, le thérapeute croyant quant à lui que c’est son système qui agit. Tel comportementaliste croit que sa technique de déconditionnement est imparable alors que le patient est par exemple charmé par le timbre de sa voix.
Donc même si une thérapie est dans l’ici et maintenant, via le transfert, cet ici et maintenant sera toujours de l’infantile et du passé réactualisé.
Dit très simplement, la suggestion thérapeutique (toute parole du thérapeute) marche ou ne marche pas selon la coloration du transfert. A mon avis, la technique proposée n’a jamais d’effets en elle-même ; donc peu importe la technique d’une thérapie hic et nunc.
Cet éclairage analytique vient éclairer pourquoi des, thérapies hic et nunc peuvent agir, y compris les plus farfelues (ou peut-être même les plus farfelues parce moins concentrées sur le symptôme et plus humaines, humaines souvent lié au fait que le thérapeute est dans la croyance et « doué » d’une ignorance alors salutaire au déploiement du transfert).
La GRANDE, peut-être en dernier ressort l’UNIQUE différence entre la psychanalyse et les autres thérapies est la PRISE EN COMPTE du transfert en psychanalyse, ce qui veut dire aussi la prise en compte du contre-transfert de l’analyste. C’est le garant d’un minimum de suggestions, d’une certaine neutralité, d’une non-directivité et d’un profond respect de la souffrance du sujet (respect ne signifie pas complaisance).
L’analyste SAIT que le transfert existe pour l’avoir empoigné lui-même au cours de sa propre analyse, et ceci pendant des années (voir Le jour où Lacan m’a adopté de Gérard HADDAD).
En résumé, la psychanalyse fonctionne par une compréhension, un EVEIL DE LA PENSEE, pour que le sujet puisse » voir » son passé dans l’actuel, dynamique de prise de conscience mue par le transfert.
alors
que les thérapies hic et nunc ne fonctionnent que par des effets de suggestions liées aussi aux forces du transfert mais non analysées et ignorées du thérapeute.
Christian Jeanclaude
Il est très intéressant de noter que la méthode Coué est à la base de nombreuse psychothérapies de type PNL, sophrologie, techniques de développement personnel, coaching au travail qui sont toutes basées sur l’autosuggestion et la pensée positive.
Cette approche basée sur la répétition à l’infini, à l’image des mantras hindouistes, est évidemment totalement étrangère à la psychanalyse, ne serait-ce que par l’absence de tranfert et une parole vide soliloquante venant du conscient pour retourner au conscient.
Le ressort même de cette méthode est un déni d’inconscient comme la plupart des psychothérapies même celles qui affirment le contraire mais sans jamais tenir compte de l’analyse de transfert, ni même de son existence.
On peut lire avec profit l’excellente critique du livre de d’Hervé Guillemain (La Méthode Coué. Histoire d’une pratique de guérison au XXe siècle) de Roger-Pol Droit dans lemonde.fr du 14.01.2010 intitulé « La Méthode Coué. Histoire d’une pratique de guérison au XXe siècle » : Coué, sa méthode et ses couacs.
de Laurence Picolo.