
Historiquement, dès les années 1920, il est demandé aux psychanalystes
1/ d’abord de suivre une psychanalyse personnelle[1] pour réduire, voire résoudre leur problématique personnelle et s’affranchir au mieux de leur névrose (éventuellement détecter des traits psychotiques et/ou pervers qui auraient interdit la suite, soit l’entrée en didactique) ;
2/ puis ensuite de s’engager dans une psychanalyse didactique.
Les choses ont évolué dans le temps car il s’est avéré que la différence entre analyse personnelle et didactique n’était pas aussi tranchée et progressivement on s’est orienté vers des psychanalyses personnelles qui peuvent (si le désir d’analyste se fait jour en cours de travail) devenir à visée didactique.
Ajoutons à ce lourd parcours, les supervisions demandées en début de pratique (en général 3 analyses terminées, soit encore plusieurs années de contrôle)… notons que certains analystes particulièrement sourcilleux et honnêtes et/ou parce qu’ils y trouvent leur compte ainsi, restent en supervision toute leur carrière.
Ce parcours prend environ 10 à 15 années.
Cette formation, essentiellement définie par l’IPA (International Psychoanalytical Association), est en gros adoptée par toutes les sociétés analytiques reconnues comme pertinentes qu’elles soient freudiennes ou lacaniennes.
(Lacan avait ajouté la procédure de la passe en 1967 dans le cursus de formation, dispositif qui était sensé contourner les problèmes de cooptation, de validation d’un titre d’analyste non basée sur l’acte analytique… bref de dégager des analystes qui deviendraient en quelque sorte l’essence même de l’acte analytique, une sorte de « produit chimique » pur qui saurait se déprendre de tous leurs déterminants onto/phylogénétiques, de leur « pulsion » thérapeutique [vouloir guérir l’autre], de toute morale évidemment, etc…, finalement de ce qui viendrait les alourdir de leur médiocrité humaine !) [2]
Ajoutons enfin qu’il y a souvent pour les apprentis-psychanalystes une obligation de suivre des séminaires, des cartels chez les lacaniens[3] et diverses actions de formation (présentation de malades par exemple) au sein de l’association/société à laquelle ils sont adhérents.
La nécessité d’une « formation » très solide pour devenir analyste est fondamentale : les enjeux sont bien trop importants.
Un analyste mal formé qui ne serait pas au clair avec son inconscient peut faire des dégâts irréversibles chez ses patients.
C’est un domaine, malheureusement, où l’incompétence règne en maître car la « formation » ne peut pas passer par une procédure universitaire, ni être garantie par une acquisition de connaissances formelles.
En effet, la psychanalyse est bien plus qu’un savoir technique et théorique : c’est une pratique très subtile que le futur analyste expérimente d’abord sur lui-même et en mesure les effets [s’en trouvera-t-il mieux dans sa vie personnelle ? « Guérira-t-il ? »[4]], donc pratique dépendante d’un nombre incalculable de facteurs dont d’abord les qualités humaines du futur praticien).
Voire plus : les diplômes universitaires peuvent illusionner ceux qui en sont possesseurs et qui s’imaginent que leur connaissance académique des auteurs psychanalytiques peut suffire pour devenir praticien psychanalyste.
Actuellement, dans notre société incroyablement normée ou les certifications en tout genre font florès, les psychanalystes sont de plus en plus de formations universitaires en psychologie ou psychiatrie. Simple effet de mode ou évolution durable, cette position induit des confusions : le/la psychanalyste n’a aucune affinité particulière avec aucune formation universitaire spécifique, et certainement pas avec celle de psychiatre ou celle de psychologue qui n’apporte aucune compétence pour conduire une cure psychanalytique.
Ces praticiens (psychiatres, psychologues) doivent désapprendre le paradigme de leur formation qui les met en position de « celui qui sait à la place de l’autre, soit du patient » en ne s’appuyant que sur des connaissances sémiologiques et nosographiques (en particulier d’origine neuroscientifiques et cognitivistes). Ils entrevoient leurs patients sous l’angle de la maladie, de la déviance et du symptôme en excluant l’histoire de la personne.
Comment arriver à écouter en étant englué dans des connaissances rassurantes qui nourrissent le praticien en le maintenant dans une illusion de savoir parce qu’il peut étiqueter son patient ? Il aura tendance, s’il ne désapprend pas, à faire entrer la parole de son patient dans des catégories, des systèmes et passer ainsi à côté de l’essentiel de la personne (le sujet).
Pour être psychanalyste, il faut se « désaveugler », se débarrasser de tous les préjugés et prêt-à-penser.
Au mieux, la formation préalable au parcours psychanalytique pour devenir praticien, peut apporter une tournure d’esprit, un apport méthodologique en quelque sorte : ainsi il y a de forte chance que le philosophe/écrivain/sociologue n’aura pas le même style que le psychologue, ni que le psychiatre, ni que le scientifique, ni l’artiste, ni le juriste, etc.
Outre des qualités humaines d’immense patience, de bienveillance, d’une très grande capacité d’observation, de capacité d’enveloppement et d’apaisement, d’une honnêteté radicale (le mensonge est dévastateur dans une relation de confiance telle qu’elle existe en analyse), d’une capacité d’authenticité (absence d’hypocrisie professionnelle tant prônée par Sándor Ferenczi), la formation préalable donnera le « style ».
Et la cure psychanalytique chez le futur psychanalyste ne peut évidemment pas « rayer de la carte » une formation préalable souvent poussée qui prédispose à une certaine approche méthodologique (façon de penser).
Être psychanalyste est une pratique complexe : il faut à la fois avoir un bagage important (études supérieures préalables, expérience de vie, des connaissances a minima dans des domaines de base telle la biologie, la philosophie, la littérature, l’histoire des religions, l’ethnologie, les arts, etc…) tout en étant capable en séance de lâcher-prise, de faire une confiance dans son inconscient fruit de toutes les expériences décrites ci-dessus (y compris sa propre analyse évidemment) ; d’être en quelque sorte complètement naïf et tout en ouverture, prêt à écouter son analysant .
Freud le voulait ainsi et a toujours défendu une psychanalyse indépendante, dit laïque (ou profane).[5]
En France des confusions sont possibles car certains diplômes universitaires peuvent être leurrants mais ne confèrent aucune compétence pour exercer en tant que psychanalyste.
Par exemple le Master de « Psychologie : psychopathologie clinique psychanalytique » dans de nombreuses universités (Lyon, Montpellier, Toulouse, Strasbourg, …), indépendamment de la qualité académique de l’enseignement donné, ne confère aucune compétence[6] à l’exercice de la psychanalyse.
Idem pour le « Master et le Doctorat de Psychanalyse » (Paris 8[7] et Université Paul Valéry de Montpellier).
Si certains psychologues cliniciens se prévalent de ce Master « Psychologie : psychopathologie clinique psychanalytique » pour s’arroger le droit d’être psychanalyste sans avoir suivi le parcours indispensable pour être analyste, ils se mettent tout simplement en position de charlatanisme en matière de pratique de la psychanalyse.
A l’inverse, à l’instar de cet aphorisme de Lacan que « le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même et de quelques autres », comme aucune législation ne vient encadrer l’exercice de la psychanalyse, certaines formations non universitaires prétendument diplômantes (qui sont en général des machines à cash ! et/ou des groupements qui fonctionnent selon un mode sectaire) recrutent n’importe qui n’importe comment pour autant que le client paye (cher) sa formation.
Donc il faut être très clair : le diplôme de psychanalyste n’existe pas.
Certaines formations universitaires en amont peuvent paraître plus adéquates que d’autres (psychologue, psychiatre par exemple) mais en réalité, comme nous l’avons déjà évoqué, ces parcours peuvent être trompeurs concernant un supplément de compétence.[8] Il n’y a pas de formations académiques prérequises privilégiées.[9]
La responsabilité du psychanalyste est immense.
En effet, l’adage parfois entendu « si ça ne peut pas faire de bien, ça ne peut pas faire de mal ! » est stupide. C’est bien mal connaître la puissance des mots et le poids de la parole d’un psychanalyste en qui le patient a donné sa confiance (notions de « sujet supposé savoir » et « parole du Maître » de Lacan).
Si la parole peut « sauver », elle peut évidemment détruire lorsqu’un lien de confiance s’établit entre deux personnes, condition sine qua non du lien transféro/contre-transférentiel analysant.e/analyste.
Le candidat-psychanalyste doit être très au clair sur le parcours qu’il envisage de suivre. En passer par une association ? quelle orientation choisir ? freudienne ? lacanienne ? ferenczienne ? kleinienne ? … Privilégier la qualité (et/ou la notoriété) de son analyste plutôt qu’une association et sa réputation ? s’inscrire dans d’une filiation d’analystes selon le phylum de transmission (quel est l’analyste de l’analyste, etc… en remontant le plus loin possible).
Outre le style personnel que l’analyste va développer au cours de sa pratique, le choix de départ pour se former à la pratique psychanalytique est absolument déterminant.[10]
Si dans l’absolu, le but d’une thérapie psychanalytique est toujours éthiquement identique (soit l’épanouissement du sujet, la sortie de sa névrose et de ses aliénations, son affranchissement du regard de l’autre, un gain de liberté considérable dans ses choix et son libre-arbitre, une grande capacité à vivre le présent en pleine conscience)[11], les moyens peuvent être sensiblement différents selon l’orientation du psychanalyste, de ses choix dans sa propre analyse, du fait qu’il est indépendant ou adhérent à une association, qu’il est quant à sa formation universitaire, psychologue, psychiatre, scientifique, juriste, philosophe, artiste, etc…
Il est très compliqué de changer de paradigme (par exemple freudien vers lacanien et vice versa) une fois bien engagé dans une analyse à visée didactique car il ne faut pas se leurrer : même si un analyste est « neutre », sa propre orientation théorique modifie considérablement sa pratique.
Veut-il s’affranchir des associations analytiques et appliquer à la lettre cette maxime de Lacan : « un analyste ne s’autorise QUE de lui-même ! » (on oublie en général la suite car Lacan dit aussi « et de quelque autres », les quelques autres étant l’association évidemment mais aussi son propre analyste si on s’affranchit d’une association), avoir besoin de se sentir légitimer par l’adhésion à une association au risque d’avoir une pratique codifiée et standardisée dévitalisée (car il faut avoir à l’esprit qu’une association analytique favorise énormément les mécanismes d’identification collective et le mimétisme ainsi que le phénomène de culte des personnalités dominantes au sein du groupe) ?
Si le futur analyste choisit de se former auprès d’un analyste indépendant, le lien de confiance dans ce dernier doit être considérable, à la fois dans l’honnêteté intellectuelle de son formateur, ainsi que dans la compétence de celui-ci en lien avec sa « formation » (il est évident par exemple qu’un analyste qui, au cours de son analyse, n’aurait pu atteindre une distance salutaire en rapport avec son histoire, pas compris ses limites [roc de la castration] ni mesurer ses possibilités, ni explorer son désir d’analyste, ni compris ce qu’est l’inconscient, etc… et/ou interrompu son analyse sur des résistances ou un passage à l’acte est suspect d’incompétence).
S’affranchir d’une association est une entreprise difficile qui demande une éthique inébranlable[12].
Il est enfin possible de commencer une analyse personnelle avec un analyste totalement indépendant (qui n’adhère pas à une association) puis d’adhérer et se faire reconnaitre par certaines rares associations, pour les plus ouvertes, comme analyste de ladite association mais c’est difficile[13].
On l’aura compris : le parcours pour exercer en tant que psychanalyste est très exigeant, à la hauteur de la responsabilité que cette fonction engage.
Parcours d’autant plus exigeant qu’il n’est sanctionné par aucun diplôme, ni aucune reconnaissance de l’Etat.
[1] Lacan J., « N’est-ce pas là l’os qui nécessite que le psychanalyste doive être un psychanalysé, principe que S. Ferenczi porte au rang de seconde règle fondamentale ? » in Écrit, Seuil, 1966, p. 339.
[2] Lacan J., « Si on forme des analystes, c’est pour qu’il y ait des sujets tels que chez eux le moi soit absent. C’est l’idéal de l’analyse qui bien entendu reste virtuel. » in Le Moi dans la théorie de Freud et dans la technique de la psychanalyse, Le séminaire, livre II (1954-1955), Seuil, 1978, p. 287.
[3] Texte du site de L’Association Lacanienne Internationale (ALI) : « Le cartel est un mode d’accueil des analystes en formation, mais pas seulement. Il est défini comme « une élaboration soutenue dans un petit groupe. Chacun d’eux se composera de trois personnes au moins, de cinq au plus, quatre est la juste mesure. Plus une chargée de la sélection, de la discussion et de l’issue à réserver au travail de chacun » (Lacan, Acte de fondation de l’École freudienne de Paris, 1964). Comme nous savons, il est pratiqué aussi bien par des analystes plus expérimentés car il reste avant tout un dispositif de lecture et de transmission spécifique de la psychanalyse. Lacan était de l’avis que ce travail en cartel « doit avoir son produit ».
[4] Camon Fernandino, La Maladie humaine (La Malattia chiamata uomo), Gallimard, 1984.
[5] Voir affaire Reik et cet article
[6] Texte du site de l’université de Montpellier
« Le parcours Psychologie clinique et psychopathologie psychanalytique forme des psychologues cliniciens généralistes, susceptibles de travailler dans les multiples champs où il est actuellement fait appel au psychologue clinicien. La visée généraliste de cette formation permet au psychologue de travailler dans les secteurs infanto-juvénile et adulte, dans des pratiques cliniques individuelles et groupales. »
[7] Texte du site de l’université Paris 8
« Le Master de Psychanalyse qui se propose de conjoindre une réflexion épistémologique, critique, théorique sur la psychanalyse à une ouverture à la clinique psychanalytique, n’est pas, comme tel, professionnalisant, puisque tout psychanalyste doit d’abord et avant tout accomplir une psychanalyse personnelle, en obtenant sa reconnaissance au sein même d’une association psychanalytique. Néanmoins, dans le décret de loi de juillet 2010 sur la formation des psychothérapeutes, le gouvernement a reconnu l’intérêt professionnel du Master de Psychanalyse de l’université Paris 8 en donnant aux titulaires de ce Master et au même titre que les titulaires du Doctorat de médecine ou du Master de psychologie, la possibilité de s’inscrire ensuite, s’ils le souhaitent, dans une formation agréée de psychothérapeute. »
[8] Concernant les diplômes de psychologue et/ou psychiatre, le seul avantage pourrait se rapporter à une compétence en psychopathologie compte tenu que ces diplômes obligent à des stages dans des institutions diverses qui traitent de personnes en souffrance psychique (hôpital psychiatrique, Centre médico psycho-pédagogue, etc.). Il va de soi qu’une très bonne connaissance de la psychopathologie est indispensable pour être psychanalyste mais qui peut s’acquérir en dehors des formations susnommées.
[9] Citons-en vrac quelques psychanalystes connus et remarquables : Jean-Bertrand Pontalis, Jean Laplanche, Anne Dufourmantelle, Marilia Aisenstein, etc…, philosophes ; Michel Schneider, énarque ; Daniel Sibony, mathématicien ; Vladimir Granoff, Jean-Claude Lavie, Jacques Lacan, Serge Leclaire, Juan-David Nasio, psychiatres ; Gérard Haddad, ingénieur agronome puis psychiatre ; Henri Bauchau, poète, essayiste et écrivain ; Françoise Dolto, pédiatre ; Maria Torok, psychologue ; Maud Mannoni, criminologue ; François Roustang, Denis Vasse, philosophes et jésuites, etc…
[10] Les séances courtes lacaniennes, de surcroît scandées, n’ont pas grand-chose à voir avec des séances longues où l’analysant peut se laisser aller à sa parole sans crainte d’être interrompu.
Lacan et les lacaniens ont leurs arguments (par exemple) : insistant sur la notion de fulgurance, de parole vraie, de refus de la jouissance de l’analysant à se noyer dans ses remémorations/ruminations, etc.).
Ma pratique m’a convaincu que finalement c’est encore Freud qui avait raison : des séances longues de 45 minutes à 1 heure sont un compromis efficient.
Par ailleurs, en terme d’inscription dans la durée et dans la régularité du rythme des séances (depuis les années 2000, sous la pression sociale du tout tout de suite, de la rentabilité, de l’absence d’engagement, la pratique se relâche et de nombreux psychanalystes ne respectent plus la technique élaborée par Freud, ses disciples et de nombreux successeurs pendant des décennies pour atteindre les mutations attendues d’une cure psychanalytique, soit 2/3 séances jusqu’à 5 par semaine en continu), quel rapport entre une fréquence de 1 fois de temps en temps (15 jours, 1 mois), et une authentique psychanalyse de 2/3 séances par semaine ?
[11] Freud définit une cure psychanalytique réussie lorsqu’une personne est capable :
- D’aimer
- De travailler
- D’avoir une angoisse compatible avec un relatif bien-être
[12] Ce qui ne signifie aucunement qu’une personne qui s’affiche psychanalyste sans appartenir à une association reconnue soit forcément pertinente. Elle peut être dans l’imposture car s’arrogeant une fonction pour laquelle elle est incompétente : ce sont souvent des thaumaturges, imbu de toute-puissance, qui peuvent manipuler, suggérer des idées/actions dangereuses, dériver vers le sectarisme.
[13] Il faut faire preuve de pertinence soit par des publications, articles ou livres, soit par une pratique reconnue… et plutôt toutes ses qualités ensemble !