Celui-ci, à juste titre, repousse la radiesthésie, la méta psychie, l’astrologie ; mais en repoussant de même la psychanalyse, il fait voir que rien n’est plus rare que le discernement dans la négation.
Jean ROSTAND, Pensées d’un biologiste, J’ai Lu, 1973, p. 110.
La mode « psy » ou le règne de la confusion : le grand « n’importe quoi » !!!
Ça y est, nous y sommes !
Je veux dire le mélange entre magnétiseurs, naturopathes, psythothérapeutes de tout poil, psychanalystes…
Voir le nombre d’annuaires où nous trouvons des psychothérapeutes-masseurs-psychanalystes, des thérapeutes holistiques et naturopathes, des auriculothérapeutes et aromathérapeutes, des sophrologues psychanalystes, des psychanalystes qui vantent leur pratique de l’hypnose (je croyais naïvement que la psychanalyse se caractérisait précisément par l’abandon de l’hypnose par Freud en 1896), des psychanalystes sexothérapeutes (je pensais stupidement que la sexologie qui a trait à la génitalité est totalement antinomique de la psychanalyse qui vise précisément à en sortir… de la génitalité et sa dimension pulsionnelle pour aller vers la sexualité et le désir), des thérapeutes psychocorporels ( ? ?, ne l’est-on pas toujours, thérapeutes psychocorporels, sinon quelle serait l’adresse d’une parole, d’un geste ?), j’en passe et des meilleures.
De toute façon, a minima, les psychanalystes subissent une mutation sociale étonnante puisqu’ils deviennent pour beaucoup subitement psychothérapeutes depuis que grâce à l’article 52 de la loi du 9 août 2004, leur affiliation à une société analytique patentée les y autorise.
Etonnante évolution en forme de régression où subitement depuis cet article 52 de la loi du 9 août 2004, des psychanalystes se revendiquent psychothérapeutes là où peu de temps auparavant, les mêmes auraient sans doute été offusqués qu’on leur colle une telle étiquette.
D’ailleurs, jusqu’il y a environ une décennie, dans les milieux analytiques autorisés, il existait une distinction très nette entre une cure psychanalytique (avec un setting spécifique) et la psychothérapie d’inspiration psychanalytique, abrégée PIP, dont la spécificité principale était le face à face, le nombre des séances moindres, une directivité beaucoup plus importante qu’en cure type et des interventions très prudentes sensées limiter le retour du refoulé et « l’ébullition » du transfert.
De passer du statut de psychanalyste à celui de psychanalyste-psychothérapeute n’est pas du tout pour tenter de ratisser large une clientèle… ce n’est pas du tout lié à une question de concurrence sur le marché de la souffrance psychique… bref ce n’est du tout dans une optique commerciale.
Somme toute, ce revirement de situation semble lié à une prise de conscience tardive, très tardive… à savoir que finalement, après avoir réfléchi très longtemps, les psychanalystes seraient aussi psychothérapeutes et ceci même si pendant des décennies, plus particulièrement en France, la psychothérapie était présentée comme le pire à l’instar des l’égopsychologie américaine.
Evidemment lorsque les pouvoirs publics permettent à bon compte de devenir en quelque sorte « psychothérapeute d’Etat » [1] (soi-disant à l’origine, dans l’esprit de l’amendement Accoyer, pour protéger les « usagers » !), d’ajouter une nouvelle qualification labellisée par le grand Autre (pardon l’Etat [2] !) à son statut de psychanalyste (notons que c’est aussi vrai aussi pour les psychiatres, les psychologues et les médecins), pourquoi s’en priver à moins peut-être d’être psychanalyste (c’est-à-dire d’en respecter l’éthique, irréductiblement, comme impératif catégorique).
J’ironise mais il est clair qu’à force de vouloir faire de la psychanalyse une sorte de tarte à la crème psychothérapique qui serait sensée être appliquée un peu partout (je veux dire en dehors de la séance ad hoc telle que Freud l’a défini), à force de casser du psychanalyste de la part même souvent de psychanalystes d’ailleurs, chaque fois que des fondamentaux de cette discipline, plus spécifiquement techniques, sont rappelés (une psychanalyse a un cadre parfaitement défini), les effets ne peuvent se traduire que par une confusion regrettable et extrêmement préjudiciable pour les personnes en souffrance psychique. Actuellement, celui qui ose dire que la psychanalyse est totalement indépendante de toute autre discipline se voit vite taxé d’intégrisme et d’élitisme.
De tels jugements de valeur sont attristants car il s’agit tout de même de la survie de la psychanalyse qui est en cause.
Quand je parle de la survie de la psychanalyse, il ne s’agit pas de sa survie sociale (peut-être se portera-t-elle de mieux en mieux de ce point de vue dans la mesure où n’importe quel praticien « psy », y compris dans des domaines aussi éloignés que le comportementalisme par exemple, s’autorisera de plus en plus à se nommer psychanalyste), mais de l’essence même de cette discipline et plus particulièrement de la subversion liée ipso facto à sa praxis.
Il est parfaitement légitime de considérer que la psychanalyse, à l’aune des neurosciences, du cognitivisme et du comportementalisme, est devenue obsolète et sans qu’une telle option soit du fanatisme (comme les mouvements anti-darwiniens par exemple).
Mais il est impossible de dénier que la psychanalyse ouvre un espace de liberté unique pour autoriser la parole du sujet de se dérouler, donc un espace unique à l’épanouissement de la pensée… un espace unique d’un pas vers plus d’humanité (entendu comme une capacité du sujet de ne pas céder sur ses pulsions et de sublimer les effets de cette capacité).
Il est impossible de dénier que l’espace ouvert par la psychanalyse est irremplaçable et que sa perte constituerait une perte d’un espace de civilisation.
Des sociétés de psychothérapeutes ajoutent le signifiant psychanalyse à leur label, des sociétés psychanalytiques se proposent (discrètement cependant) de former des psychothérapeutes (marché énorme n’est-ce-pas ?), bref c’est la grande foire aux « psys ».
Nous vivons une époque formidable où la souffrance psychique (peut-être pas que psychique… voir la gigantesque galette que représente le marché de la santé et ses dérivés) sera considérée comme une manne à gérer selon des techniques de marketing aussi agressives que celles utilisées dans la grande distribution [3]
Les psychanalystes deviennent psychothérapeutes, les psychothérapeutes deviennent psychanalystes… tout le monde fait un peu de tout. Certains « psychanalystes » proposent même des thérapies comportementales (si, si !).
Le corpus théorique de la psychanalyste devient ringard… nous entrons dans l’ère de l’efficacité thérapeutique grâce aux TCC en particulier, dans le pragmatisme libéral, dans le domaine de la normalisation mentale (voir l’évolution des évaluations dans tous les domaines où l’intime est en jeu) et peu importe les dommages collatéraux, l’accroissement de la souffrance psychique individuelle et du même coup sociale. Tout ceci me fait penser à l’hygiénisme mental prôné par certaines idéologies particulièrement terrorisantes de sinistre mémoire, dont la dernière en date fut le stalinisme.
Les services de santé outre-Atlantique ne furent jamais en reste pour mettre la psyché au pas (pas tout à fait de l’oie mais au pas d’un puritanisme dévastateur) et pour fustiger l’absence d’efficacité de la psychanalyse (qui fut pourtant là-bas très efficace pour instruire les publicitaires sur l’inconscient et des possibilités de manipulation au service du commerce). Question de choix de société.
Evidemment que la psychanalyse est totalement inefficace pour formater des citoyens en consommateurs serviles ; de ce point de vue, elle est totalement contre-productive. Elle est non seulement inefficace mais ses buts sont exactement contraires à l’asservissement du sujet au profit du collectif. Freud a suffisamment développé cette thématique dans Malaise dans la Civilisation [4] .
Cette confusion déplorable n’est pas nouvelle et se résume assez bien dans cette nouvelle tarte à la crème qu’est le terme de « psy » pour désigner quiconque se mêle de la souffrance psychique d’autrui.
Ce qui est nouveau est sa systématisation, sa normalisation… le psychanalyste restant sur sa position de psychanalyste étant de plus en plus considéré comme crispé sur son éthique, comme une sorte de dinosaure. Position éthique qui devient socialement une sorte de tare, une attitude intolérante. Dans pas mal de pratique analytique, le mot d’ordre à l’adresse du consultant devient « c’est quand vous voulez comme vous voulez ».
Pratique du n’importe quoi sans repères, ni règles.
Position intenable du point de vue analytique.
Un progrès en forme de régression à l’instar de la désintégration systématique de beaucoup de repères dans notre monde dit « moderne » d’une complexité destructive dans la mesure où une sorte de fonctionnement intrinsèque (le cycle fou production-consommation où le sujet est pris en otage comme consommateur obligé) préside à toute décision politique.
Cet état d’esprit de laminage de la pensée et du désir est bien sûr à replacer dans un contexte plus général d’une idéologie contemporaine de l’insupportable du sujet au profit du groupe, de l’insupportable du désir au profit de l’aliénation à l’idéologie collective, de l’insupportable de la pensée et de l’esprit critique au profit d’une absence de pensée par soi-même et de la promotion des poncifs et des préjugés collectifs.
Christian JEANCLAUDE
Notes
[1] 1 PRIEUR Cécile, « Les professionnels de la psyché redoutent l’émergence d’une psychothérapie d’Etat », Monde.fr, 18.02.06, article paru dans l’édition du Monde du 19.02.06
Cécile Prieur écrit à juste titre en l’occurrence : « Deux ans après le début de la polémique sur l’amendement Accoyer, le projet de réglementation de l’usage du titre de psychothérapeute suscite une colère croissante chez les professionnels de la psyché. Motions adoptées par les enseignants de Faculté, pétitions qui circulent parmi les étudiants en psychologie, courriers de protestations adressés par dizaines au ministère de la santé, le petit monde de la psy s’oppose, presque unanime, à un avant-projet de décret qui doit faire l’objet d’une dernière réunion de concertation, mardi 21 février. » et aussi : « Pour les professionnels concernés, psychiatres, psychologues et psychothérapeutes, ce texte excéderait largement le cadre posé par l’article 52 de la loi du 9 août 2004 : ils estiment que le gouvernement s’est saisi de l’occasion pour créer une nouvelle profession paramédicale, concurrente des pratiques existantes, que d’aucuns qualifient déjà de « psychothérapie d’Etat ». »
[2] 2 C’est à la création de l’Institut allemand de recherche psychologique par M. H. Goering en mai 1936 (intitulé le Goering-Institut) qu’une véritable psychothérapie d’Etat verra le jour (dont Mein Kampf deviendra la référence théorique). Certains psychanalystes de l’ex-Société Allemande de Psychanalyse alors dissoute, furent intégrés dans la société de Goering et pendant toute la guerre 1939-1945, des psychanalystes exercèrent ainsi en Allemagne (étant obligé de toute façon de renier les concepts fondamentaux de la psychanalyse).
Nous n’en sommes évidemment pas là d’autant que le consensus mou est en train de devenir un mode contemporain pour museler la pensée. Ce serait plutôt que plusieurs référentiels sont mélangés pour faire une sorte de mélasse qui n’a plus aucun sens.
Mais cette histoire de psychothérapie sous le régime nazi a valeur d’enseignement, à savoir que lorsqu’un Etat se mêle de dire la référence (dans le cas présent une formation en psychopathologie dont les références sont parfaitement inconnues à ce jour car il est possible de voir la psychopathologie de bien des manières) ici pour définir les critères de prise en charge de la souffrance psychique d’autrui, il y a danger d’aliénation de la pensée et du libre-arbitre. La psychanalyse est étrangère à ce type de main mise sur sa pratique, même par-devers elle (un psychanalyste qui voudrait contrôler la parole de son analysant serait un imposteur).
[3] 3 Je crois savoir qu’il existe déjà, en France, des officines où l’usager-consommateur, après un entretien préliminaire d’orientation, est dirigé qui vers un sophrologue, qui vers un praticien en Emdr, qui vers un gestaltiste, qui vers un psychanalyste, etc.
[4] 4 FREUD Sigmund, (1929), Malaise dans la civilisation, trad. fr., Paris, PUF, 1986 ou Le malaise dans la culture in OCF.P XVIII, pp. 245-333, Paris, PUF, 1994.