Lorsque, à partir des observations de séance, les psychanalystes théorisent l’inconscient, il s’agit d’être prudent pour ne pas créer un gouffre entre à la réalité observable et ce qui est envisageable de la mise en ordre théorique de l’inconscient. Les psychanalystes qui théorisent ne doivent se laisser » charmer » par une sorte d’exotisme qui consisterait à se laisser fasciner par un » mystérieux » inconscient sous peine d’élaborer des systèmes théoriques inadaptés à l’écoute des analysant(e)s. Autrement dit de faire entrer dans des cases pré-pensées le discours des analysant(e)s et ne pas les écouter, erreur grave de conséquence.
Freud fit souvent des mises en garde destinées aux psychanalystes dont celle-ci, à savoir qu’ils devaient se prémunir contre un respect excessif d’un « mystérieux inconscient ».
Il est certain que la pratique analytique met le praticien devant des observations « étonnantes », qu’il ne peut d’ailleurs pas toujours expliquer, ni comprendre. Ces faits observés, qui pourraient tenir du mystère, ne doivent pas lui faire perdre de vue son objectivité scientifique quant aux explications théoriques qu’il pourrait tirer des manifestations psychiques observées en séance.
Essayer de théoriser les mécanismes qui sous-tendent le psychisme humain n’est pas une mince affaire : il faut savoir être d’une logique à toute épreuve dans les raisonnements tout en ayant l’esprit suffisamment libre pour saisir toute les subtilités de l’irrationnel humain – ou si l’on préfère, la logique de l’inconscient.
Il faut dire que les psychanalystes qui tentent de comprendre ce qui se joue derrière les apparences (le comportement observable) travaillent sur une matière qui n’est observable que par ses manifestations, qui plus est, déformées. Un peu à la manière du paléontologue, qui à partir de quelques fragments d’os, va tenter de reconstituer le squelette d’un animal disparu (puis de son mode de vie, puis de sa niche écologique, etc …) qu’il n’a jamais vu et ne verra jamais, le psychanalyste fera de même avec les signes en provenance de l’inconscient sans jamais pouvoir l’observer directement.
Il suppose, il émet des hypothèses, il tente d’accumuler des preuves qui viennent appuyer la justesse de ses hypothèses. En allant d’hypothèses en hypothèses, il en arrive à élaborer un modèle théorique qui est sensé expliquer le maximum de faits psychiques. Cependant, il ne faut jamais perdre de vue qu’il s’agit précisément d’un modèle d’une dynamique qui, par définition, nous échappe. C’est dans ce sens par exemple que Freud soulignait souvent que ses élaborations étaient faites par défaut de mieux et que la biologie permettraient probablement un jour de mieux comprendre ce que lui-même essayait de démêler. C’est dans cet esprit qu’il qualifiait sa théorie des pulsions, en s’adressant aux psychanalystes, de « notre mythologie », ce qui illustre à quel point il fit toujours montre d’une prudente honnêteté scientifique.
On comprend alors que tout modèle psychanalytique peut très vite devenir une spéculation qui n’a plus beaucoup de rapport avec les faits de la réalité observée. Si il faut savoir s’affranchir de ces derniers pour pouvoir espérer permettre des progrès à toute théorie psychanalytique, il ne faut pas tomber non plus dans le piège d’une construction totalement imaginaire qui expliquerait tout et arrangerait des concepts entre eux à seule fin de prouver des postulats proposés à priori. Ce danger existe en psychanalyse précisément parce que la matière étudiée n’est saisissable que par des signes déformés.