
« Une folie, le transfert ? Faire d’un inconnu son père, son amant, sa sœur, sa mère : une folie ? Une folie du mental ? Et cette folie serait le ressort, le matériau même d’une cure ? Depuis Freud, c’est pourtant à cette folie que nous nous prêtons chaque fois que commence une cure. »
RABINOVITCH Solal (Psychiatre/Psychanalyste), La folie de transfert, Collection Scripta, Erès, 2006, p. 3
La notion de sentiment d’imposture ressenti par le psychanalyste est liée au fait du transfert qui est de l’ordre de l’imaginaire (soit la projection des sentiments d’amour/haine sur la personne du psychanalyste que le sujet a eu à l’égard des personnages-clefs tutélaires de son enfance, plus spécifiquement ses parents). Donc ce sentiment d’imposture a pour origine un questionnement continuel de la part du psychanalyste sur ce qui se passe en séance de l’ordre du transfert, relation purement imaginaire qui déclenche une vacillation récurrente.
Transfert à la fois artifice nécessaire pour faire avancer la cure analytique et salvateur (pour autant que sa fonction de leurre opératoire soit repérée et admise par le praticien) car protecteur du couple analysant/analyste.
Il s’agit en, quelque sorte, d’une relation « fausse » qui amène de l’authentique.
Très souvent, au cours de conférences ou pendant des salons de livres, des interlocuteurs m’ont interpellé pour me dire que la relation analytique n’est pas naturelle. Evidemment qu’elle n’est pas naturelle, cette relation : il s’agit d’un dispositif expérimental élaboré par FREUD pour favoriser l’émergence de bribes de l’inconscient.
Pour réduire ce sentiment d’imposture, l’analyste doit aller au plus près de l’écoute, idéalement en NE réagissant que par des interventions venant ponctuer le discours associatif de l’analysant : il doit être d’une honnêteté radicale.
Mais une telle neutralité est évidemment impossible au risque d’un sur-place inacceptable et l’analyste est obligé de proposer (il s’agit même d’une de ses fonctions : celle d’interprète/décrypteur des manifestations de l’inconscient) des interprétations imprégnées par la relation transféro/contre-transférentielle qui fait naître ce sentiment d’imposture (quel est le critère de vérité de l’interprétation alors qu’elle s’inscrit dans de l’imaginaire ?).
Ce sentiment d’imposture n’a rien à voir avec une vraie imposture (une supercherie, voire une escroquerie) qui consisterait à plaquer des interprétations tirées d’un savoir formel (ou pire, du bon sens, donc d’un ensemble de préjugés, d’un prêt-à-penser étayé sur la bien pensance collective) sur le discours du patient ; autrement dit qui consisterait à ne pas écouter pour proposer de la théorie à l’analysant.
Une telle relation thérapeutique sous des abords rassurants (qui laisse entendre que le thérapeute sait… qu’il est sûr de lui puisqu’il se repose sur du prêt-à-penser, sur un un savoir d’expert est redoutable et produit de la manipulation. Justement, le thérapeute « profite » du transfert pour placer SON discours. C’est totalement normatif, aliénant et inopérant sous des apparences de guérison car le patient se plie alors aux désirs du thérapeute précisément sous la contrainte du transfert.
Je pense malheureusement que cette pratique est très répandue surtout quand le thérapeute qui n’a pas fait sa propre analyse agit de bonne foi alors qu’il introduit un dispositif manipulateur (de quoi est-il alors porteur sinon de sa propre névrose ?) qui met le patient à la merci du discours du sujet/thérapeute (de ses envies, ses préjugés, ses systèmes de valeur, sa névrose, ses aliénations, ses affects…).
Donc ce sentiment d’imposture (de remise en cause permanente du psychanalyste) est une garantie éthique pour le patient.
Christian Jeanclaude
Psychanalyste