
Michael BALINT (1896-1970), psychanalyste anglais bien connu, médecin généraliste de formation universitaire, eut l’idée à partir de 1946, en collaboration avec son épouse, Enid BALINT (1904-1994), elle-même psychanalyste, tout d’abord à la Tavistock Clinic de Londres, de mettre au service de la relation médecin-malade leur savoir-faire d’écoute analytique en proposant des groupes de parole nommés initialement « case work », et sont devenus depuis connus sous la dénomination de « groupes Balint ».
Bien que restés marginaux, ces groupes Balint se sont étendus géographiquement bien au-delà de la Grande-Bretagne, mais aussi au-delà de la problématique de la relation soignant-soigné pour s’étendre au domaine plus large de la relation enseignant-apprenant, donc là où intervient la transmission d’un savoir (non seulement formel mais également dans le sens d’un savoir-faire et d’un savoir-être) dans un cadre relationnel étroit.
Dans une relation analytique, et ceci au sein de la dynamique transférentielle/contre-transférentielle, intervient sans aucun doute aussi la transmission d’un savoir. En effet, que peut faire le psychanalyste, au-delà de son référentiel conceptuel et dans le cadre de la relation singulière qui s’instaure entre lui et l’analysant, pour tenter d’amener ce dernier à modifier son dysfonctionnement psychoaffectif à l’origine de sa souffrance, sinon d’essayer de transmettre l’expérience de son propre inconscient qu’il a vécue au cours de sa propre analyse.
Le concept d’Éducation du patient consiste à la compréhension et à la maîtrise par les patients de leur maladie et de leur traitement mais concerne également de façon plus globale les comportements à l’égard de la santé et donc les modes de vie. Elle implique en général une formation des soignants.
Plus précisément, je reprendrai la définition Deccache et Lavendhomme [1], je cite : « L’éducation du patient est un processus par étapes, intégré dans la démarche de soins, comprenant un ensemble d’activités organisées de sensibilisation, d’information, d’apprentissage et d’aide psychologique et sociale, concernant la maladie, les traitements, les soins, l’organisation et procédures hospitalières, les comportements de santé et ceux liés à la maladie, destinés à aider le patient (et sa famille), à comprendre la maladie et les traitements, collaborer aux soins, prendre en charge son état de santé et favoriser un retour aux activités normales ». Bien qu’étant, dans les faits, non coutumier de cette pratique ne me considérant absolument pas comme un soignant en tant que psychanalyste et à supposer que j’aie approximativement compris de quoi il s’agissait en lisant divers articles à ce sujet [2] , je voudrais dire quelques mots à ce sujet compte tenu de la généralisation de l’ingénierie médicale, de cette pratique de déshumanisation qui ne tient absolument plus compte du sujet mais exclusivement d’une partie de corps souvent d’ailleurs sans lien avec les autres parties. Pratique, selon moi, totalement contraire à l’éthique fondamentale du soin au patient, du soin au malade, voire plus car probablement au-delà des effets techniques (chimie, chirurgie, etc.) probablement efficaces au sens strict, d’autres effets peuvent devenir toxiques. Je définirai ces effets par des effets nocebo en opposition avec des effets positifs de type placebo. En tout cas, il est clair que l’absence de relation médecin-malade dans cette nouvelle tendance de la médecine technologique au détriment d’une médecine humaniste ne peut pas favoriser la prise en charge par le patient de sa maladie.
Il est actuellement admis que pour certaines maladies (l’asthme par exemple) l’éducation du patient est aussi important que la thérapeutique médicale au sens strict.
Le chevauchement de l’Education du patient (ou Education thérapeutique du patient) avec la démarche analytique [3] est assez net même si l’aspect quantitatif n’est absolument pas pareil (une psychanalyse est évidemment autre chose qu’une éducation et demande beaucoup de temps et d’énergie) : amener un sujet vers une responsabilité (dans le sens d’une plus grande prise en charge de son trouble) grâce à une modification de la relation soignant-soigné basée sur le respect (toute personne, quel que soit son niveau de culture, a droit à une information éclairée et honnête), diminuant le risque d’une infantilisation, situation humiliante pour le malade et lourde à porter pour le personnel soignant et l’entourage.
Ceci évidemment sans sentimentalisme de mauvais aloi, ni hypocrisie face à la souffrance dans laquelle la maladie plonge un patient. Je pense même que dans certaines situations de maladies graves, une relation soignant-soigné peut véritablement procéder d’une maïeutique qui peut amener le sujet à de nouvelles perspectives de vie (c’est ce qui peut arriver en soin palliatif par exemple). Tenter de former le personnel soignant à restituer (et d’abord respecter) leur dignité d’êtres humains à des malades me semble être une expérience fondamentalement civilisatrice, procédant d’un mouvement de mutation sociale totalement en accord avec le corpus de pensée freudienne.
Une maladie, surtout si elle est assortie d’acte chirurgical, est très souvent vécue comme une perte en soi, ne serait-ce que la perte d’un état de santé antérieur différent. L’Éducation du patient devrait permettre, me semble-t-il, d’autoriser le sujet à passer un gué vers un avenir, et ceci grâce à une acceptation de l’expérience mutative en rapport avec la maladie. Cette acceptation permet alors un avenir possible parce que le passé est désinvesti et accepté comme révolu. Or la déresponsabilisation et l’infantilisation du malade, comme elle existe souvent dans la médecine technologique, surtout en milieu hospitalier, empêchant totalement un travail de pensée (c’est l’autre, l’expert qui sait, qui pense à la place du malade) ne peut que maintenir la personne dans un déni de la mutation possible, en l’empêchant ainsi d’investir son avenir, donc sa vie.
Dans ma pratique d’analyste, j’ai constaté que pour tirer une personne « vers le haut », tout en ayant un respect quasi-sacré (qui va bien au-delà d’une attitude) pour sa souffrance, le plus mauvais service à rendre à un analysant est d’être complaisant avec les bénéfices secondaires que le sujet peut tenter de tirer de son état (sans, bien sûr, agir activement – coercitivement pourrait-on dire -, à savoir que si régression il doit y avoir, il serait anti-analytique d’empêcher l’analysant de la vivre et qu’il puisse alors l’analyser).
Il s’agit de pouvoir permettre à la personne de répondre de sa souffrance, c’est-à-dire de lui permettre de la prendre en compte comme sa chose propre et de la gérer autant que faire ce peut, pour qu’elle ne vienne pas interdire tout projet de vie.
Pour me résumer, je crois (l’expérience analytique me servant de contenant de pensée à ce sujet), que la relation soignant-soigné n’acquiert une authentique valeur de soin (dans le sens de « prendre soin » plutôt que de « soigner »), que si cette relation peut en quelque sorte glisser vers une relation empreinte d’un respect bien compris pour la personne humaine dans le sens d’une transmission d’un savoir du soignant vers le soigné, la relation devenant alors celle d’un soignant/enseignant-soigné/apprenant (et pourquoi pas si c’est possible un peu analysant s’il est autorisé à parler de sa vie).
Il est probable que la tâche soit loin d’être aisée face à de nombreuses résistances. L’accompagnement méthodologique de projets d’équipes soignantes en Éducation du patient, certainement singulier dans chaque cas, nécessite, je suppose, un travail de « funambule » tout en nuances, en touches impressionnistes, sorte de pédagogie par perméabilisation, tout comme au cours d’une analyse en tant que praticien. C’est que la fonction de soignant, de par la situation d’infériorité de fait du malade, peut rapidement donner une illusion de pouvoir (qui peut être réellement exercé lorsque le soignant en a les moyens techniques) qui doit, je suppose, être abordée avec une extrême prudence tant le risque de remise en cause pourrait amener une déstabilisation dans une équipe.
Cette l’approche, parce que celle-ci ne peut être que soutenue par une certaine éthique de la personne humaine, rejoint, me semble-t-il, celle de la psychanalyse. En effet, Freud n’a pas soutenu autre chose qu’une approche de l’homme par la voie de la sublimation, et non pas par celle du pansexualisme, telle que ses détracteurs l’ont toujours cru (voulu croire !), donc une approche progressiste et civilisatrice, respectueuse de la personne humaine en tant que sujet responsable.
Par ailleurs, et ceci me paraît fondamental, travailler selon cette perspective respectueuse de l’éducation du patient oblige toute personne concernée par cette démarche à s’interroger sur la notion de santé.
Ici encore, l’expérience analytique permet d’aborder cette notion selon une vision beaucoup plus élargie que celle de la médecine allopathique traditionnelle. Je voudrais citer (de mémoire), Maud Mannoni (vers 1920-1998), qui en présentant sa thèse d’État en parla comme de son symptôme (donc comme d’un processus d’équilibration, et en fait de tentative de guérison). Nous sommes loin de la médecine technologique qui « traque » le symptôme, le « dissèque », le « cartographie », le regarde comme un entomologiste observe un insecte, et ceci sans jamais entendre la plainte du malade. Non pas qu’il ne faille pas évidemment, surtout en médecine somatique, s’attaquer au symptôme, mais il existe un gouffre entre entendre la disparition d’un symptôme comme une guérison, d’autant que la personne en est exclue (de la guérison) et la notion de santé qui est bien plus vaste et complexe. Bref, je pense que nous passons notre temps à nous guérir, la santé étant une notion extrêmement relative : s’agit-il simplement d’un bon fonctionnement de la machine biologique ? Ou alors d’un équilibre psychobiologique ? Ou encore en dernier ressort d’une relative satisfaction existentielle en tant qu’être humain ? Freud s’est cassé les dents sur cette notion en abordant le problème toujours d’actualité de la fin d’analyse (dans le cadre ici des névroses) pour finalement en arriver à une définition, qui pour simplette qu’elle pourrait paraître, ne l’est peut-être pas tant que cela. Il pense qu’un être humain se trouve en bonne santé quand 3 conditions sont remplies, à savoir :
* 1/ être capable d’aimer ;
* 2/ être capable de travailler ;
* 3/ avoir un niveau d’angoisse compatible avec une capacité à vivre acceptable.
Nous sommes beaucoup plus proche d’une conception orientale de la notion de santé que celle prônée par nos publicitaires (qui façonnent les préjugés actuels, préjugés à la source d’une pseudo-pensée contemporaine qui me semble particulièrement infantilisante et faisant le jeu de la pulsion de mort – standardisation, uniformisation, pensée unique, mondialisation), avec les conséquences que l’on connaît, à savoir précisément de mettre les gens, en rapport avec leur besoin d’identification collective, dans des situations de pressions psychiques intolérables, situations à l’origine précisément d’une santé souvent catastrophique se traduisant par un mal de vivre qui peut s’extérioriser, entre autre, sous forme de maladie et/ou de conduites névrotiques (par exemple, combien de femmes se tuent – parfois au sens propre lorsqu’elles ingurgitent des dérivés d’amphétamines – à vouloir correspondre à une représentation de la « femme en bonne santé, dynamique et vitale », dont les modèles, en général les mannequins de mode, ressemblent d’un point de vue psychopathologique, à des anorexiques).
Je regrouperais succinctement l’essentiel des qualités prérequises à une capacité à l’Education du Patient en 6 points :
* 1/ Des qualités d’écoute.
* 2/ Des qualités de conduites d’entretien (pouvoir structurer un échange pour déterminer les points d’appui présents chez le patient sur lequel l’éducateur pourra s’appuyer).
* 3/ Des qualités de coordinateur et d’animateur au sein d’une équipe médicale pour déterminer un protocole éducatif cohérent à l’égard d’un patient donné.
* 4/ Des qualités évidentes pédagogiques, à savoir être capable d’expliquer avec simplicité et sans jargon des situations pathologiques parfois complexes.
* 5/ Des qualités de persuasion et de ténacité pour faire valoir auprès du patient le bien-fondé de la démarche éducative.
* 6/ Des qualités de créativité à la fois intellectuelle et relationnelle à des fins de facilitations évidentes et d’établissement d’une confiance soignant-soigné.
Loin d’être une simple technique, l’inclusion de l’Education du Patient dans la relation soignant-soigné me semble être un bouleversement fondamental et participe d’une démarche humaniste qui va bien au-delà de la simple relation thérapeutique car il s’agit aussi d’une éducation par l’exemple d’abord au respect et à la responsabilité.
Christian JEANCLAUDE
P.-S.
Notes
[1] 1DECCACHE A., LAVENDHOMME E., Information et éducation du patient. Des fondements aux méthodes, De Boeck Université (Col. Savoirs & santé. Questions), 2002, p. 45.
[2] 2Cram Nord Picardie , Département de santé publique – Cerfep, 11, allée Vauban, 59662 Villeneuve d’Ascq Cedex, (http://www.cram-nordpicardie.fr/San…)
[3] 3 J’essaye de définir le noyau ce que pourrait être l’esprit de la psychanalyse dans l’avant-propos de mon second livre (Les ombres de l’angoisse, Bruxelles, Paris, Coll. Oxalis, De Boeck, 2005, pp. 9-14.