
Récemment, allant fureter dans la plus grande librairie de ma bonne ville de province, je découvris avec stupéfaction que le rayon « psychanalyse » était passé parterre, invisible et inaccessible sauf à s’accroupir ou se mettre à genoux.
Indice très pertinent de la mise actuelle à l’index de la psychanalyse tout à fait conjointement avec la réduction de la psychiatrie au pire, soit de ne plus envisager l’homme comme psychique mais comme organo-chimique.
Il est vrai que les détracteurs de la psychanalyse annonce sa mort depuis plus d’un siècle. Mais jusqu’à récemment, en tout cas en Europe démocratique, région du monde où la pensée est (était ?) encore autorisée (car la psychanalyse est formatée/aseptisée depuis longtemps outre-Atlantique), les pouvoirs publics n’avaient pas manifesté l’envie de légiférer. Puis les pays de notre belle Europe s’y mettent les uns après les autres (normal, puisque le discours récurrent est que nous sommes en retard sur les Etats-Unis… en retard de quoi ?), la France ayant conclu ce débat par l’adoption de l’amendement Giraud (article 18 quater adopté en juillet 2004).
Qu’est-ce à dire ?
Cette mise au pas de la psychanalyse n’est évidemment pas à isoler du reste de l’évolution contemporaine du monde. L’humain de plus en plus jeté sur le bord du chemin, l’humain, donc le psychique, bafoué, maltraité, déclenchant des haines inexplicables de la part de ceux qu’on appelle des acteurs « économiques ».
Cette haine de l’humain, plus visible socialement, lorsque, sous prétexte d’une perte de rentabilité, on envoie à la casse des charrettes de salariés qui ont parfois consacré toute leur vie à une entreprise, lorsque sous le même prétexte, on délocalise des entreprises pour exploiter des enfants ou des pauvres bougres des pays du tiers-monde, mais aussi lorsque sous prétexte que les pauvres citoyens qui rentrent le soir chez eux harassés ne veulent pas entendre parler de culture, des producteurs TV proposent de les abrutir définitivement avec des programmes obscènes de bêtise. La marchandise humaine n’a jamais été aussi rentable, monnaie sonnante et trébuchante s’entend.
La tentative de clouer le bec à la psychanalyse fait donc partie d’une dynamique bien plus large qui touche tous les domaines où la parole dérange le nouvel ordre économique mondial. Bref la censure économique devient, c’est un euphémisme, très pesante.
Partout dans le monde où la psychanalyse est institutionnalisée, surveillée, encadrée (quelle infantilisation humiliante !), partout où elle répond à des objectifs de rentabilité et de normalisation transformant le psy en « directeur de conscience », la conscience étant définie par les normes sociales en cours, partout où il en est ainsi la psychanalyse est affadie et moribonde.
Un seul but : transformer le citoyen en consommateur passif.
Et la psychanalyse devrait se prêter à cette manipulation ?
Evidemment, le psychanalyste qui est un « méchant », c’est connu, ne cherchera certainement pas à remettre l’analysant dans le « bon » chemin (celui du consommateur passif), mais tentera de l’amener à réinventer un chemin qui lui permette de respirer et mettre en œuvre son désir, et ceci en dehors de toute référence sociale, sinon l’éthique élémentaire de la Loi (tabou de l’inceste par exemple).
Vladimir Granoff (1924-2000), que j’ai eu le bonheur d’écouter pendant 2 jours en 1998, pensait que la psychanalyse était le dernier lieu de liberté et un rempart de civilisation. Il pensait aussi que l’argent était devenue une « passion perverse » dans notre monde dit moderne. Comment ne pas souscrire ?
Remplacer l’humain par l’argent… mettre l’humain au service de l’argent est devenue l’horreur contemporaine.
Tout est psy, dit-on ! la psy est partout, entend-on !
Si tout est psy, c’est parce les psys disparaissent : je veux dire ceux qui ont une éthique, un projet, un référentiel de pensée, une Weltangschauung.
Etre psy, si bien évidemment ça nécessite l’apprentissage d’un savoir formel (le savoir de l’université), c’est d’abord une inscription particulière dans le monde… un rapport d’amour qui ne peut, ne veut pas se réduire à une technique passe-partout, à une technique de destruction de l’écoute, à une technique d’annulation des singularités, à une technique de destruction de l’être au profit du clonage comportemental.
Tenter de guérir un psychisme en souffrance, une homéostasie psychobiologique méchamment bousculée par une enfance cruelle, est d’abord un acte d’amour. Amour entendu comme courage d’écouter et de dire et certainement pas comme apitoiement parfaitement contre-productif.
Désormais en « liberté surveillée », que deviendra la psychanalyse ?
Désormais, il y a à craindre pour tous ceux qui, cassés, ne se contenteront pas d’un peu de chimie (ou d’un voyage aux Caraïbes, c’est selon) pour tenter de supporter leur souffrance psychique. Où iront-ils si les analystes acceptent eux-mêmes de s’aliéner à l’égard du politique ? Que dire de ceux qui, complètement saccagés, ne trouveront plus nul part un lieu de parole qui leur soit bénéfique, soit une psychiatrie humaniste où parler est encore possible.
The world in progress !